Affaibli par la crise sanitaire, le secteur de l’habillement arrive à un tournant de son histoire, n’ayant d’autre choix que de prendre le chemin de la durabilité. Entre économie circulaire, écoconception et innovation technologique, panorama d’une problématique complexe qui implique la mobilisation de tous les acteurs : des producteurs de fibres aux consommateurs.
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« Le secteur de la mode a un fort impact environnemental. Son modèle doit évoluer. » C’est avec ces mots que Barbara Pompili a salué le rapport « Relocalisation et mode durable » remis au gouvernement par le comité stratégique de filière (CSF) Mode et Luxe en janvier dernier. Cette déclaration de la ministre de la Transition écologique souligne la montée en puissance d’une problématique longtemps restée à l’arrière-plan. « Et il y a urgence à agir, indique Raphaël Guastavi, chef du service Produits et efficacité matière de l’ADEME. En effet, l’industrie textile augmente d’année en année ses productions tout en engendrant des impacts socio-environnementaux conséquents à l’échelle mondiale. » À cet égard, la contribution du CSF Mode et Luxe est un signal positif, qui marque une prise de conscience de la part des entreprises.
Une problématique complexe
« En appelant à la réimplantation des activités textiles dans l’Hexagone, ce travail explore plusieurs axes de réflexion qui nous semblent importants pour la transition écologique du secteur de l’habillement. Je pense notamment à la lutte contre l’exploitation humaine, à la réduction du transport des produits, à la maîtrise des consommations énergétiques des sites industriels, à la mise en place de boucles locales de recyclage ou encore au recours à des matières premières locales (fibres végétales, fibres recyclées, laines) disponibles en France, remarque Nolwenn Touboulic, ingénieure au sein du service Produits et efficacité matière. En se focalisant sur la réduction des impacts liés à la délocalisation des activités de production, le rapport témoigne d’une vision parcellaire de ce qu’est la mode durable. » « Pour résumer, la mode sera durable quand elle ne poussera plus à la surconsommation ni à un renouvellement fréquent, quand elle prendra en compte la durée de vie des produits et réfléchira dès la conception à leurs impacts sur l’ensemble de leur cycle de vie. Construire une mode durable passe par la préservation des ressources, le choix de matières premières à faible impact environnemental, la réduction des impacts de la fabrication (tissage, teinture, ennoblissement, confection) et de la pollution liée aux relargages de plastiques lors des lavages, et enfin par le réemploi ou le recyclage en proximité », détaille Raphaël Guastavi. La problématique est donc complexe, nécessitant une approche multicritère, articulée sur l’ensemble du cycle de vie des produits. Une approche subtile, et nuancée, pour comparer par exemple les impacts de tee-shirts en polyester – donc en plastique – contre leurs homologues en coton – dont la culture nécessite de grandes quantités d’eau – ou des jeans très résistants intégrant beaucoup de matières mais durables, contre des jeans « jetables » dont la résistance dans le temps oblige des renouvellements fréquents.
Entreprises et consommateurs : l’heure du changement
Alors que faire face à l’urgence climatique et sociétale ? Comment accélérer la transformation d’un secteur qui émet encore 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre chaque année et consomme 4 % de l’eau potable disponible dans le monde ? « À sujet complexe réponses multiples, résume Nolwenn Touboulic. L’enjeu est de favoriser le changement tant du côté des entreprises que de celui des consommateurs en tirant le plus de “fils” possible de l’amont à l’aval du cycle de vie de nos vêtements. » Pour l’ADEME, cette ambition se décline en une multitude de leviers d’action. De nombreux dispositifs de financement sont ainsi mobilisés pour accompagner les entreprises dans leurs projets de recherche ou leurs initiatives de verdissement de leurs activités, dont le récent « pack écoconception » mis en place dans le cadre du plan France Relance ou, à l’autre bout du cycle, l’appel à projets Orplast pour l’intégration des matières plastiques recyclées. Parallèlement, « l’ADEME s’efforce aussi de faciliter l’émergence de nouveaux comportements chez nos concitoyens, ajoute Raphaël Guastavi en conclusion. Cela passe en particulier par des publications de sensibilisation comme le guide “Le revers de mon look”, des événements comme les Trophées de la mode circulaire co-organisés avec la Métropole Européenne de Lille ou encore par des campagnes sur les réseaux sociaux menées par France Nature Environnement. Enfin, nous nous concentrons sur l’interface entre les producteurs et les consommateurs, à travers un vaste chantier sur l’affichage environnemental engagé il y a plusieurs années et remis au premier plan par les lois Anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec) et Climat et résilience. »
Écodesign : vous avez dit écoconception?
Depuis septembre 2020, Refashion, l’éco-organisme de la filière textile, linge de maison et chaussures (TLC), met à la disposition des acteurs de la filière – chefs de produits, stylistes, modélistes, etc – une plateforme dédiée à l’écoconception des produits TLC. L’outil propose une base de connaissances, des articles de veille technique et réglementaires ainsi que des conseils pratiques et des retours d’expériences. En parallèle, les équipes de Refashion, accompagnées par l’association Orée, offrent des ateliers mensuels de sensibilisation et d’accompagnement à l’éco-conception comme par exemple sur la recyclabilité et de la production durable. Dans les mois à venir, la plateforme développera des parcours utilisateurs spécifiques aux catégories de produits et aux niveaux de maturité des marques à l’écoconception.
En savoir plus : https://refashion.fr/pro/fr
achetés en plus par personne par rapport à il y a quinze ans. Ils sont conservés moitié moins longtemps (source : McKinsey & Co, « Style that is sustainable: A new fast fashion formula », Nathalie Remy, Eveline Speelman & Steven Swartz, 2016).
générés par le secteur de l’habillement en France et 1 million d’emplois (Source : IFM, 2017).
qui composent nos vêtements sont recyclés pour en faire de nouveaux (Source : « Fast Fashion is creating an environmental crisis », Newsweek, 2016).